123 shaares
Etrange concept qu’introduit cet article des Décodeurs du Monde : les abstentionnistes auraient de toute façon voté à peu près la même chose que ceux qui se sont exprimés (comprendre le FN en tête à environ 25%), et il n’y a donc pas de débat sur un effet “catalyseur” de l’abstention sur le vote frontiste.
Edit : En extrapolant d'ailleurs cette conclusion, on arrive à un électeur inscrit sur quatre qui penche pour le FN. Ca veut dire que quasiment un adulte sur quatre rencontré dans la rue serait un électeur FN. Ça paraît d'emblée un poil beaucoup quand même, mais poursuivons...
Un esprit curieux se demandera alors sans doute comment peut-on conclure cela, puisque par définition un abstentionniste ne vote pas, et ne réfléchit donc pas forcément à qui il aurait pu confier son vote. Il trouvera ainsi dans l’article deux sources, toutes deux produites par deux instituts de sondage différents.
La première est à mon sens trop faiblarde (http://www.ipsos.fr/sites/default/files/attachments/europeennes_ipsos_-_comprendre_le_vote_des_francais_-_25_mai_2014_-_20h.pdf) car elle ne détaille pas franchement la méthodologie. C’est la seconde (
http://www.ifop.fr/media/poll/2666-1-study_file.pdf) qui mérite qu’on s’y attarde, notamment parce qu’elle synthétise assez bien les contraintes de tout institut qui se respecte (méthode des quotas, intervalles de confiance, etc). Je précise tout de suite que je ne doute pas du sérieux et de la probité de l’Ifop, mais il y a tout de même d’assez gros défauts qui me viennent à l’esprit quand je vois cette enquête.
D’abord, la question du redressement des réponses en faveur du FN me chiffonne franchement. Ce point méthodologique n’est jamais détaillé par les instituts, mais il est au coeur des erreurs ou des bonnes estimations du vote d’extrême-droite.
On sait que, parmi les sondés, certains ont encore des scrupules à assumer leur vote FN (http://www.slate.fr/story/35499/sondages-biais-echantillon-marges-redressement), et vont donc répondre qu’ils penchent pour un autre parti. La question est alors de savoir quelle proportion répond autre chose, et quelles réponses doivent être enlevées à un ou plusieurs partis pour réajuster le score du FN.
On sait par exemple que ces mêmes instituts se sont bien plantés lors des dernières municipales en sous-estimant le vote FN (http://www.mediapart.fr/journal/france/280314/municipales-la-faillite-des-sondages), alors que pour le scrutin d’hier ils étaient très proches du résultat final. S’il y a erreur, il est clair que les instituts modifient leur formule de réajustement en fonction de ces données.
Or, dans le cas du vote hypothétique d’abstentionnistes, on est dans la pure fiction et on ne pourra jamais vérifier concrètement si les estimations étaient fiables ou si elles méritaient correction. Cette impossibilité de vérifier par des faits concrets ce sondage me paraît être une belle zone d’ombre.
Continuons gaiement avec un autre point noir méthodologique : la connaissance ou non du contexte politique par les sondés. Je trouve que cette enquête donne l’impression que tous les répondants étaient parfaitement calés sur le contexte politique et ont répondu en tout connaissance de cause, ce qui me paraît être ou très optimiste ou franchement simpliste. Préciser si un délai de réponse large était accordé ou non après la question aurait au moins permis de distinguer une réaction spontanée d’une vraie réflexion.
Et enfin, la cerise sur le gâteau pour la fin : l’absence d’explication, un grand classique dans les enquêtes d’opinion. Si le vote FN (http://www.scienceshumaines.com/front-national-les-raisons-d-une-ascension_fr_31658.html) se divise au moins entre vrais xénophobes et protestataires sporadiques (et sans doute plus depuis que la stratégie de “dédiabolisation” est opérée), pourquoi ces derniers s’abstiennent-ils ? Comment peuvent-ils être déçus d’un parti jamais arrivé aux commandes, et qui n’a pas eu l’occasion de les décevoir ? Quelle logique y a-t-il à protester contre un parti qui clame haut et fort sa nature protestataire ?
EDIT : D'ailleurs, les résultats de ce sondage sont en parfaite contradiction avec ce qu'explique Joël Gombin, chercheur spécialiste du vote FN : "Le Front National a l’avantage très net de n’avoir jamais exercé le pouvoir, il n’a pas à subir l’effet de désillusion qui frappe les autres", ce qui me rend encore plus dubitatif sur les conclusions de cette enquête (la source du témoignage est juste là : http://www.datajournalismelab.fr/sud-ouest-ces-electeurs-que-le-fn-seduit/).
Bref, ça me paraît tout sauf éclairant, en tout cas pas assez pour conclure qu'on aurait eu un même résultat avec une abstention nulle...
Edit : En extrapolant d'ailleurs cette conclusion, on arrive à un électeur inscrit sur quatre qui penche pour le FN. Ca veut dire que quasiment un adulte sur quatre rencontré dans la rue serait un électeur FN. Ça paraît d'emblée un poil beaucoup quand même, mais poursuivons...
Un esprit curieux se demandera alors sans doute comment peut-on conclure cela, puisque par définition un abstentionniste ne vote pas, et ne réfléchit donc pas forcément à qui il aurait pu confier son vote. Il trouvera ainsi dans l’article deux sources, toutes deux produites par deux instituts de sondage différents.
La première est à mon sens trop faiblarde (http://www.ipsos.fr/sites/default/files/attachments/europeennes_ipsos_-_comprendre_le_vote_des_francais_-_25_mai_2014_-_20h.pdf) car elle ne détaille pas franchement la méthodologie. C’est la seconde (
http://www.ifop.fr/media/poll/2666-1-study_file.pdf) qui mérite qu’on s’y attarde, notamment parce qu’elle synthétise assez bien les contraintes de tout institut qui se respecte (méthode des quotas, intervalles de confiance, etc). Je précise tout de suite que je ne doute pas du sérieux et de la probité de l’Ifop, mais il y a tout de même d’assez gros défauts qui me viennent à l’esprit quand je vois cette enquête.
D’abord, la question du redressement des réponses en faveur du FN me chiffonne franchement. Ce point méthodologique n’est jamais détaillé par les instituts, mais il est au coeur des erreurs ou des bonnes estimations du vote d’extrême-droite.
On sait que, parmi les sondés, certains ont encore des scrupules à assumer leur vote FN (http://www.slate.fr/story/35499/sondages-biais-echantillon-marges-redressement), et vont donc répondre qu’ils penchent pour un autre parti. La question est alors de savoir quelle proportion répond autre chose, et quelles réponses doivent être enlevées à un ou plusieurs partis pour réajuster le score du FN.
On sait par exemple que ces mêmes instituts se sont bien plantés lors des dernières municipales en sous-estimant le vote FN (http://www.mediapart.fr/journal/france/280314/municipales-la-faillite-des-sondages), alors que pour le scrutin d’hier ils étaient très proches du résultat final. S’il y a erreur, il est clair que les instituts modifient leur formule de réajustement en fonction de ces données.
Or, dans le cas du vote hypothétique d’abstentionnistes, on est dans la pure fiction et on ne pourra jamais vérifier concrètement si les estimations étaient fiables ou si elles méritaient correction. Cette impossibilité de vérifier par des faits concrets ce sondage me paraît être une belle zone d’ombre.
Continuons gaiement avec un autre point noir méthodologique : la connaissance ou non du contexte politique par les sondés. Je trouve que cette enquête donne l’impression que tous les répondants étaient parfaitement calés sur le contexte politique et ont répondu en tout connaissance de cause, ce qui me paraît être ou très optimiste ou franchement simpliste. Préciser si un délai de réponse large était accordé ou non après la question aurait au moins permis de distinguer une réaction spontanée d’une vraie réflexion.
Et enfin, la cerise sur le gâteau pour la fin : l’absence d’explication, un grand classique dans les enquêtes d’opinion. Si le vote FN (http://www.scienceshumaines.com/front-national-les-raisons-d-une-ascension_fr_31658.html) se divise au moins entre vrais xénophobes et protestataires sporadiques (et sans doute plus depuis que la stratégie de “dédiabolisation” est opérée), pourquoi ces derniers s’abstiennent-ils ? Comment peuvent-ils être déçus d’un parti jamais arrivé aux commandes, et qui n’a pas eu l’occasion de les décevoir ? Quelle logique y a-t-il à protester contre un parti qui clame haut et fort sa nature protestataire ?
EDIT : D'ailleurs, les résultats de ce sondage sont en parfaite contradiction avec ce qu'explique Joël Gombin, chercheur spécialiste du vote FN : "Le Front National a l’avantage très net de n’avoir jamais exercé le pouvoir, il n’a pas à subir l’effet de désillusion qui frappe les autres", ce qui me rend encore plus dubitatif sur les conclusions de cette enquête (la source du témoignage est juste là : http://www.datajournalismelab.fr/sud-ouest-ces-electeurs-que-le-fn-seduit/).
Bref, ça me paraît tout sauf éclairant, en tout cas pas assez pour conclure qu'on aurait eu un même résultat avec une abstention nulle...