Parmi les grandes différences entre la BD "From Hell" et son adaptation cinématographique, il y a une carte qui donne le ton de cette plongée en enfer. On y retrouve les grandes lignes métaphysiques du Jack l'Eventreur choisi par Alan Moore.
Ceux qui se sont un peu renseignés sur le scénariste de comics Alan Moore le savent : ce dernier déteste copieusement les adaptations audiovisuelles de ses œuvres (parmi lesquelles "V pour Vendetta", "The Watchmen", "La Ligue des gentlemen extraordinaires", "From Hell"), à tel point qu'il a refusé d'apparaître au générique de certains de ces films.
Pour avoir lu la plupart de ses BD, on aurait du mal à lui donner tort, tant la machine hollywoodienne a retiré des éléments très importants de ses œuvres. C'est notamment le cas de la fin de "V pour Vendetta", et c'est encore plus criant pour "From Hell".
Mais d'abord, un peu de genèse : Alan Moore a imaginé cette BD à l'approche du centenaire des meurtres de Whitechapel, durant lesquels s'est tristement illustré un tueur en série surnommé Jack l'Eventreur et jamais clairement identifié.
Moore a pris comme base à son travail une thèse conspirationniste du journaliste Stephen Knight, qui affirma dans les années 1970 que les atrocités de Whitechapel avaient été perpétrées par un médecin, lui-même commandité par des francs-maçons soucieux de préserver un secret royal (grosso modo l'existence d'un bâtard).
Moore précise bien dans ses annexes qu'il ne croit pas aux allégations de Knight, mais que cette théorie du complot était très intéressante à exploiter d'un point de vue narratif. Il choisira comme tueur en série le médecin royal William Gull, une rumeur de temps à autre reprise.
Moore s'est parallèlement énormément documenté pour restituer l'ambiance très inégalitaire de l'époque victorienne, et a décidé de brosser son Jack l'Eventreur sous les traits d'un misogyne particulièrement effroyable.
Une carte de l'Enfer
Ce qui rend encore plus horrible le William Gull d'Alan Moore que celui du film, ce sont ses réflexions métaphysiques à propos de la domination masculine, domination qu'il entend un peu plus propager par ses prochains assassinats.
Lors d'une balade en calèche avec son complice, il commente régulièrement différents monuments et lieux du Londres de 1888, illustrant selon lui ce combat millénaire entre le masculin Dionysos et la féminine Diane.
Une fois reliés entre eux, les arrêts successifs dressent une signification assez équivoque du projet de Gull (en bleu, les étapes de la balade, en rouge les meurtres attribués à Jack l'Eventreur) :
Il y a de quoi frissonner... Mais en y réfléchissant bien, on peut assez facilement dresser une carte similaire, puisque le pentagramme n'est pas régulier. Il suffit par exemple de choisir aux extrémités de certaines branches de très grands lieux (une île, un champ, etc).
Voici par exemple ce que l'on pourrait obtenir pour Paris, en piochant grosso modo le même type de lieux (monuments dressés, cimetières, lieux en rapport avec la mort, parcs, rues) :